« « Delphine Hélod », un spectacle vivant sur la mémoire effacée d’une esclave affranchie » 👉️ Lire l’article en entier
Au début des années 1970, une esclave enterrée en 1836 a vu sa tombe du cimetière de la Caverne profanée, puis substituée par la fausse sépulture du pirate La Buse. L’histoire vraie a inspiré au professeur d’université Prosper Eve la pièce de théâtre « Delphine Hélod », qui sera jouée pour la première fois le 23 octobre à Champ-Fleuri.
Ecrit par Thierry Lauret – le dimanche 1 septembre 2024 à 17H33
19 décembre 2018, cimetière de la caverne à Saint-Paul. Autour de l’historien Prosper Eve, quelques militants culturels se recueillent devant la pierre tombale de Delphine Hélod, lors d’une cérémonie organisée à l’occasion de la réhabilitation de sa sépulture.
Les années ont passé et le nom de cette esclave affranchie le 29 août 1835 par la volonté de ses maîtres, monsieur et madame Bellac, ne semble pas devoir trouver sa place dans la mémoire collective des Réunionnais. La symbolique frappe pourtant par sa puissance : selon le professeur émérite de l’université de La Réunion Prosper Eve, la pierre tombale de Delphine Hélod a été retournée par le syndicat d’initiative de Saint-Paul, au début des années 1970, afin de mettre en scène une fausse sépulture du fameux pirate Olivier Levasseur dit La Buse. Dans le seul but d’attirer les touristes.
Zakaria Mall, militant culturel et président de l’agence Komkifo, s’était mis en tête de trouver un moyen de raconter cette histoire, autant pour la faire connaître que pour contribuer à l’extirper des oubliettes à laquelle elle semblait condamnée. C’est en voyant « Domoun », la pièce de Sergio Grondin sur les Enfants de la Creuse, que Zakaria Mall a eu le déclic : le théâtre pouvait être « un bon médium » pour intéresser le grand public à ce pan invisibilisé de notre patrimoine.
« On connaît le combat mené pendant une quarantaine d’années par Prosper Eve pour la réhabilitation de Delphine Hélod. Sa tombe a été profanée et on a fait l’apologie du pirate La Buse, qui était un escroc », relève le créateur du magazine culturel Zarboutan.
Ainsi a mûri le projet de la pièce de théâtre « Delphine Hélod » mêlant danse et musique, dont la première est programmée le 23 octobre au Théâtre de Champ-fleuri. Sur un scénario de Prosper Eve, la mise en scène est assurée par Marie-Lyne Janson, avec dans le rôle titre l’auteure Michoue Itarre, entourée de Loran Dallo, Mari Sizay et Ti Bouna Lakour. La partie musicale a été confiée à Christine Salem, Gaël Velleyen et Stello Pierre-Louis, sur des textes de Prosper Eve.
« On ne fait pas de théâtre pour l’esthétique »
« C’est une autre forme de pièce engagée et militante, on ne fait pas de théâtre pour l’esthétique. Ce qu’on veut c’est un devoir de mémoire, une réhabilitation. Et faire connaître cette histoire », assène Zakaria Mall.
Le producteur-délégué du spectacle prévient : la pièce devrait prêter à débat, au point qu’un espace y sera accordé avec le public après le spectacle. Zakaria Mall explique ainsi que certaines comédiennes confirmées ont refusé d’être à l’affiche de « Delphine Hélod », au motif que les maîtres de l’esclave apparaissaient sous un jour trop favorable.
« Certains maîtres avaient un peu d’humanité, cela s’appuie sur des écrits comme Le journal de Marguerite, qui est un bon indicateur de l’époque », avance Zakaria Mall, en faisant référence au roman (sous forme de journal intime) de Victorine Monniot publié en 1858, « qui a grandement contribué à faire connaître la Réunion dans le monde ». Adolescente, Victorine Monniot a notamment séjourné à Champborne dans la famille de l’abolitionniste Nicole Robinet de la Serve, comme le détaille Patrick Imhaus dans la biographie qu’il a consacrée à celui qu’on surnommait « L’énergumène créole ».
« Je suis féministe, et dans l’écriture de Prosper Eve, j’ai senti qu’il faisait ressentir la situation de la femme. Il parle de la maltraitance et du fait que la femme esclave vêtue d’une robe changeait de statut », confie Marie-Lyne Janson, metteuse en scène et comédienne notamment passée par la troupe de Vollard.
« S’il n’y avait pas le Bien et le Mal, la société n’aurait pas évolué »
« Delphine Hélod était couturière, et le fait de pouvoir habiller ses congénères esclaves, cela a, dans l’esprit de Prosper Eve, arrêté le regard obsessionnel du Blanc. Je trouvais ça intéressant comme idée. Et en même temps il y a un devoir de mémoire. Il redonne un peu de la valeur à cette esclave que personne ne connaît », poursuit Marie-Lyne Janson, qui admet elle aussi que la représentation des maîtres dans la pièce risque de prêter à débat.
« S’il n’y avait pas le Bien et le Mal, la société n’aurait pas évolué, et ça Prosper Eve l’a compris », estime la metteuse en scène. Une interprétation des faits, peut-être teintée d’inspiration religieuse, que certains détracteurs de l’historien lui reprochent parfois. Il faudra aller voir la pièce au Théâtre de Champ-Fleuri pour se faire son propre avis.
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